Royalement absurde
Un texte de Frédéric Bérard, avocat, Docteur en droit et Politicologue
Qu’on le veuille ou non, la parade publicitaire péquiste aura eu son effet, et tout un. Alors que le cynisme électoral bat son paroxysme, une promesse aux allures de boutade - celle de refuser de prêter allégeance au nouveau roi Charles - allait occuper l’attention médiatique temps plein. Et à juste titre, si vous voulez mon avis.
Parce que l’on soit souverainiste ou pas, l’affaire importe peu. Un serment à l’autorité monarchique suprême? Et au non de quoi, au juste? Quelle légitimité, en l’espèce? Loin de moi l’idée de faire revivre les traumatismes d’antan, la Conquête au premier chef, mais n’en demeure pas moins que le symbole assure, au minimum, grincements de dents et haussement dubitatif d’épaule. En d’autres termes : on s’en contre-tape, de l’autorité du beau Charles.
Un réflexe purement québécois? Pas tant, non. Plusieurs pays du Commonwealth, la Barbade dernière en lice, se sont déjà délestés de l’asservissement britannique. L’Australie, emboîtant le pas, a d’ailleurs annoncé faire de même au décès d’Elisabeth II. À suivre, donc. À tout événement, certains experts prévoient que le Canada risquerait fort de constituer, au final, le dernier membre du royaume. Édifiant.
Or, cela dit, ne suffit pas d’un dédain de la règle constitutionnelle pour s’en défaire par magie ou subterfuge. Dans le cas précis du serment d’allégeance, celle-ci – soit l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 – est sans équivoque : tu veux siéger à une assemblée législative provinciale ou fédérale? Prête serment. C’est plate, mais c’est ça.
Ainsi, alors que quelques collègues se cassent les méninges – fantasmes partisans aidants – afin de contourner ladite règle, peine perdue. Parce que n’en déplaise, l’Assemblée nationale a déjà statué dans le sens mentionné, et ce, à plus d’une reprise. D’abord en réponse au PQ des premières années, où la réponse du secrétaire général de l’Assemblée avait forcé René Lévesque à rendre néanmoins serment en….faisant la grimace. Idem pour les dix députés solidaires de 2018, lesquels avaient décidé de témoigner leur appréciation (tousse tousse) pour la Reine en…catimini.
La porte de sortie? Une seule possible : amender la norme constitutionnelle applicable. Comment? Voilà où ça se corse, et solidement. Deux hypothèses : 1) que Québec puisse agir unilatéralement, c’est-à-dire sans l’assentiment de quiconque, conformément à l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982; 2) que Québec soit requis d’obtenir un consensus parfait en conformité de l’article 41 L.C. 1982, c’est-à-dire s’assurer de l’approbation des neuf autres provinces et du fédéral, lesquels accepteraient de modifier la règle du serment d’allégeance, par exemple en l’annulant ou la rendant sans conséquence pour tout député refusant son respect.
Mon appréciation? S’il est tentant de pencher pour une modification unilatérale, laquelle serait drôlement plus simple, m’est plutôt d’avis, malheureusement, que la formule d’unanimité devrait prévaloir. Pourquoi? Parce que celle-ci prévoit l’approbation préalable du fédéral et de l’ensemble des provinces pour tout ce qui touche « la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur. »
Abolir un serment au Roi sans impact sur les fonctions monarchiques? Tout se plaide, veut l’adage. Mais il existe, avouons-le, des plaidoiries plus ardues que d’autres.
Morale de l’histoire? Que s’il est facile d’être cynique face à l’ordre politique contemporaine, reste ceci : une prise de conscience citoyenne, comme en l’espèce, peut mener à de petits miracles. Celui, par exemple, de s’affranchir d’une absurdité institutionnelle prise pour acquis. Pensons Barbade, entre autres.
Parce que comme disait Scolas : « la monarchie est un déficit démocratique que nous subissons par héritage. »
À nous de s’en délester, rejet du cynisme ambiant à l’appui.
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